La décision de restaurer un objet du patrimoine intervient à l’issue d’une minutieuse enquête et d’un indispensable dialogue entre l’ensemble des acteurs de la conservation.
Il faut prendre en compte de nombreux paramètres, car toute opération de restauration comporte un risque non négligeable de perte irrémédiable d’informations. Les manques, les étiquettes, les marques ou la patine de l’objet sont en effet des témoins essentiels de son histoire matérielle. La décision d’intervenir sur un objet pour le restaurer n’est pas toujours évidente. Elle paraît inévitable lorsque sa conservation est menacée à court terme par un processus de dégradation.
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01│Modèle de locomotive Pacific, Apprentis de la Compagnie des chemins de fer du Midi, 1931 (inv. 16774)
Intervention de l’atelier de restauration, 2016
Ce beau modèle a été entièrement révisé en vue de son installation dans l’exposition Machines à dessiner. L’examen sous lampe UV permet d’observer la présence de vernis. -
02│Automate Le singe fumeur, Léopold Lambert, vers 1890 (inv. 43867)
Intervention d’une restauratrice spécialisée textile, 2007
Le vêtement, longtemps exposé à la lumière naturelle, est très dégradé : la soie, oxydée, était très cassante et les accessoires étaient empoussiérés et salis. Le textile a été consolidé par l’ajout de crêpelines, mais la manipulation doit rester limitée, car l’ensemble demeure fragile. -
Restaurer ou conserver ?
Le vieillissement naturel des matériaux engendre la dégradation des objets. Ces altérations* peuvent être retardées, voire arrêtées, en agissant sur l’environnement de l’objet (climat, humidité, lumière…) : on parle alors de conservation préventive. Cependant, ces précautions ne sont pas toujours suffisantes. Certaines altérations évolutives (corrosion des métaux, moisissures, empoussièrement*…) nécessitent une intervention directe sur l’objet pour être stoppées : c’est la conservation curative. La restauration, quant à elle, vise à rétablir la compréhension d’une œuvre dont la lisibilité* a été altérée par l’effet naturel du vieillissement des matériaux ou par un incident ponctuel.Pour aller plus loin
Altérations : modifications accidentelles (choc, acte de vandalisme, usage inapproprié) ou naturelles (vieillissement des matériaux) d’un objet, qui réduisent son intérêt patrimonial ou mettent en péril sa conservation.
Empoussièrement : accumulation de poussière à la surface de l’objet, pouvant capter l’humidité et favoriser le développement de moisissures et de corrosions.
Lisibilité : compréhensibilité de l’objet et de ses matériaux constitutifs, et de son fonctionnement.03│Dessins d’anamorphose pour miroir pyramidal, seconde moitié du XVIIIe siècle (inv. 1748)
Intervention d’une restauratrice spécialisée arts graphiques, 2001
Très empoussiérés, ces dessins d’anamorphose étaient également tachés. Ils ont notamment été traités à l’aide de gommes et de compresses, ce qui a permis de retrouver l’éclat des couleurs d’origine.04│Selle de la bicyclette Watt « la Déchaînée », Rouart Frères, vers 1896 (inv. 12930)
Intervention de l’atelier de restauration, 2014
Le cuir était très cassant et la selle comportait une importante déchirure. Celle-ci a été comblée et consolidée à l’aide de papier japon, très fin, maintenu, le temps du séchage de l’adhésif, par des petites presses. -
Établir le bon diagnostic
Un examen attentif de l’œuvre constitue le préalable de toute intervention. Ce constat d’état dresse un premier bilan sanitaire. Accompagné de photographies et de relevés, il documente l’objet de façon méthodique en reportant toutes les altérations visibles. Il est aussi parfois nécessaire de démonter partiellement l’objet afin de poursuivre ce travail. Il faut ensuite rechercher les causes de ces altérations et essayer de prédire leur évolution pour éviter leur réapparition. Des constats d’état répétés dans le temps permettent de suivre l’évolution du vieillissement des collections.Pour aller plus loin
05│Modèle d’appareil pour la distillation de l’eau de mer en eau douce, Antoine Laurent de Lavoisier, fin du XVIIIe siècle (inv. 20176)
Intervention de l’atelier de restauration, 2017
Outre son encrassement, cet objet est grandement fragilisé par une infestation d’insectes xylophages et par ses parties métalliques corrodées.06│Appareil pour l’étude de la fermentation des vins, Nicolas Fortin et Antoine Laurent de Lavoisier, 1789 (inv. 7550)
Intervention de l’atelier de restauration, 2017
Il y a plus de vingt ans, des adhésifs ont été posés sur les éléments en verre pour éviter qu’ils ne se cassent pendant le transport de l’objet. En vieillissant, la colle est devenue jaune et poisseuse, laissant d’importantes traces à la surface du verre.07│Constat d’état
Qu’il soit réalisé dans le cadre d’un projet de conservation ou de valorisation des collections, le constat d’état est un relevé précis des matériaux présents et des altérations. Il comporte des préconisations quant aux conditions de conservation, de manipulation ou d’exposition de l’objet. -
Établir le bon diagnostic
Un examen attentif de l’œuvre constitue le préalable de toute intervention. Ce constat d’état dresse un premier bilan sanitaire. Accompagné de photographies et de relevés, il documente l’objet de façon méthodique en reportant toutes les altérations visibles. Il est aussi parfois nécessaire de démonter partiellement l’objet afin de poursuivre ce travail. Il faut ensuite rechercher les causes de ces altérations et essayer de prédire leur évolution pour éviter leur réapparition. Des constats d’état répétés dans le temps permettent de suivre l’évolution du vieillissement des collections.Pour aller plus loin
08│Relevé d’altérations
Complément du constat d’état, ce relevé permet de localiser les altérations repérées sur l’objet. Ici, on distingue les cassures, les décollements et les éléments manquants sur ce modèle de locomotive-tender type Engerth. -
Définir les objectifs avec des techniques innovantes
Les objectifs de la restauration s’affinent au cours du processus d’étude et d’interprétation. On cherche ainsi à définir « jusqu’où » va aller la restauration de l’œuvre en déterminant le juste équilibre entre la lisibilité et la conservation. Des restaurateurs aux savoir-faire spécifiques interviennent alors et définissent des protocoles précis prévoyant l’utilisation de techniques et de produits adaptés à chaque matériau constitutif de l’œuvre. Il est parfois essentiel de recourir à des analyses plus pointues pour préciser les caractéristiques et la fragilité des matériaux en présence et confirmer la nature des interventions à conduire. Ces recherches peuvent être confiées à des laboratoires ou à des organismes publics comme le Centre de recherches et de restauration des Musées de France (C2RMF) ou le Laboratoire de recherches des monuments historiques (LRMH).Pour aller plus loin
09│Scaphandre complet pour les travaux sous-marins, Joseph Martin Cabirol, 1859 (inv. 8302)
Intervention d’une équipe pluridisciplinaire de restaurateurs spécialisés, 2004
Cet objet unique, complexe, comprend de nombreux matériaux. Des analyses approfondies ont permis de connaître l’intérieur du scaphandre et d’identifier la présence de gutta-percha (résine naturelle) sur la combinaison. -
Définir les objectifs avec des techniques innovantes
Les objectifs de la restauration s’affinent au cours du processus d’étude et d’interprétation. On cherche ainsi à définir « jusqu’où » va aller la restauration de l’œuvre en déterminant le juste équilibre entre la lisibilité et la conservation. Des restaurateurs aux savoir-faire spécifiques interviennent alors et définissent des protocoles précis prévoyant l’utilisation de techniques et de produits adaptés à chaque matériau constitutif de l’œuvre. Il est parfois essentiel de recourir à des analyses plus pointues pour préciser les caractéristiques et la fragilité des matériaux en présence et confirmer la nature des interventions à conduire. Ces recherches peuvent être confiées à des laboratoires ou à des organismes publics comme le Centre de recherches et de restauration des Musées de France (C2RMF) ou le Laboratoire de recherches des monuments historiques (LRMH).Pour aller plus loin
10│Modèle de vis d’Archimède du laboratoire d’Antoine Laurent de Lavoisier, fin du XVIIIe siècle (inv. 2009)
Intervention de l’atelier de restauration, 2017
En éclairant un objet à l’aide d’une lampe UV, on met en évidence les couches de vernis et de peinture qui se distinguent par leur fluorescence (ici, en vert). On peut alors repérer d’éventuelles retouches et adapter le traitement en fonction. -
Un sauvetage : la restauration de la soierie de la fabrique Haussmann frères de Colmar
Cette soierie, médaillée lors de sa présentation en 1819 à l’Exposition des produits de l’industrie française, est le rare témoignage d’application à l’impression sur étoffes d’une technique encore balbutiante : la lithographie. Elle est ici réservée au dessin de paysage qui forme le fonds du panneau, le motif central est réalisé plus traditionnellement grâce à l’impression au rouleau, les détails du bouquet ont été repris à la main, par « pinceautage ».Donnée au musée en 1855 par La Morinière, Gonin et Compagnie, elle était encadrée et a été exposée jusqu’en 1992.Le constat
Redécouverte lors du récolement des échantillons textiles, elle était très endommagée. La soie, très empoussiérée et complètement oxydée* par cette longue exposition, partait en morceaux.Le projet et les étapes de la restauration
Compte tenu de la pulvérulence* de la soie et de la multitude de fragments, une restauration classique, à l’aiguille, était impossible. C’est la solution d’un doublage, grâce à une crêpeline encollée (avec un adhésif stable et réversible), puis de la couture de ce nouveau support sur une soie teinte, montée sur un panneau préparé, qui a été retenue. Les restauratrices ont d’abord procédé à un nettoyage des bords avec des compresses pour enlever les traces d’adhésif du montage ancien, puis elles ont dépoussiéré les fragments les plus importants.Oxydation : dégradation de la matière (métaux, papier, fibres textiles) sous l’action de l’eau, de l’air et de la lumière ou de polluants corrosifs présents dans certains matériaux (bois, encres, peintures).
Pulvérulence : état de certains matériaux dégradés, devenus très friables et se réduisant facilement en poudre. -
La crêpeline a été teinte et encollée sur un support provisoire en bois. A commencé alors un véritable « puzzle », pour reconstituer le motif, en se guidant grâce à un corroyage de fils tendus. Progressivement, les fragments de soie ont été collés à la crêpeline à l’aide d’une spatule chauffante. Puis, les lacunes encollées ont été nettoyées.
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La restauration de la bande de papier s’est déroulée en parallèle et celle-ci a été réassemblée au bas du panneau.
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Le transfert sur un nouveau support
Un molleton en coton neutre et décati a été posé sur une plaque de polycarbonate formant le nouveau support. Le tissu de fonds en soie a été teint avec une teinture végétale stable, dans le ton de la plus grande lacune, afin de l’atténuer. Puis cette soie a été posée sur le molleton de coton. Enfin, l’ensemble, crêpeline et soie imprimée, a été cousu avec des points de restauration*.
Le traitement a duré plus de 200 heures pour trois restauratrices. Il a été réalisé dans les ateliers de restauration du musée.Le panneau reste conservé en réserves, à l’abri d’une housse en coton noir. Pour une exposition, forcément exceptionnelle au vu de la fragilité de la soierie, le panneau devra recevoir une protection adéquate, de la face et du revers.
Ce travail a fait l’objet d’un mécénat de la fondation Hermès en 2014-2015.Points de restauration : techniques de couture particulières à la restauration, qui consistent en des points cousus à la main, lâches et non noués, permettant par exemple de refermer les bords d’une déchirure. -
Générique de l'exposition
Cette version numérique de l'exposition De la soierie au moteur. Dans les coulisses de la restauration est une adaptation de l’exposition Objets restaurés, patrimoine exposé, présenté en 2014, dont le commissariat était assuré par Anne-Laure Carré et Dominique Vandecasteele.
Rédaction des textes
Anne-Laure Carré, Rémi Catillon, Céline Daridan, Lionel Dufaux, Lucie Lohier-Fanchini, Perrine Starck.
Graphisme et impression
Cendrine Bonami-Redler, Objectif numérique
Crédits photographiques
Musée des Arts et Métiers :
©Photos Michèle Favareille, Hélène Mauri, Charlotte Compan, Pascal Faligot, Sylvain Pelly, Luc Boegly, Fred Behar, Céline Daridan, atelier de restauration, service de l’inventaire, régie, photo studio Cnam.
Restaurateurs :
©Thalia Bajon-Bouzid, Adèle Cambon, C2RMF, Ingrid Léautey, Sylvain Lucchetta, Antoinette Villa.
Remerciements
Thalia Bajon-Bouzid, Adèle Cambon, Anne Courcelle, Agnès Conin-Van Lancker, Patricia Dal-Pra, Dalila Druesne, Valentine Dubard, François Duboisset, Marie-Noëlle Laurent-Miri, Ingrid Léautey, Sylvain Lucchetta, Louisiane Rios, Emilie Rouquié, Guy Scherrer, Agathe Strouk, Antoinette Villa, Marc Voisot et Alice Vrinat.