Le transfert de l’innovation

La recherche se déploie parfois à un niveau qui dépasse la collaboration interne. S’intéresser aux prototypes amène à explorer les relations entre entreprises, industriels et laboratoires de recherche, à une échelle nationale ou transnationale. Ces rapports sont multiples : commercialisation de produits conçus dans les laboratoires, commandes de recherches par des industriels, transferts techniques ou scientifiques des laboratoires aux entreprises…

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Visuel Proto catalogue 3
Ce rapprochement répond également à un impératif de réactivité et de flexibilité toujours plus fort. La concurrence, l’émergence de nouvelles technologies et de connaissances ainsi que le marché plus exigeant imposent en effet aux entreprises un rythme de production soutenu. Les différents modes de collaboration rendent possible des programmes de recherche en leur donnant une finalité et permettent aux entreprises de bénéficier des avancées techniques et scientifiques.

L’industrialisation de prototypes par les entreprises, dans le cadre de la recherche appliquée, suit un processus parfois long, partant des besoins exprimés pour aboutir à la création d’un produit satisfaisant et industriellement réalisable. Ce processus peut souvent donner lieu à des brevets, afin d’assurer la propriété intellectuelle des prototypes développés. Il laisse de nombreuses traces, plans, maquettes et versions intermédiaires qui racontent cette genèse industrielle et ses aléas : combien de versions d’essai pour aboutir à la réalisation finale ?
 
 
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Bistouri laser

Ce laser à usage chirurgical est créé par le professeur et physicien Jean Lemaire pour permettre la prise en main par le chirurgien, faisant ainsi disparaître le bras articulé nécessaire dans les lasers CO2 classiques. Il est formé d’un tube laser fermé par deux miroirs et d’un laser à CO2 qui émet dans la bande de l’infrarouge. Par un jeu de miroirs internes, un fin faisceau concentré de lumière laser extrêmement cohérente, presque monochromatique, est obtenu et permet de couper les chairs.

Des essais cliniques sont effectués dans le cadre d’une procédure de « transfert d’évaluation de prototype ». Ils concluent à l’adéquation avec le cahier des charges initial et à une nette supériorité sur les modèles antérieurs. De 1985 à 1991, une trentaine d’exemplaires sont vendus par la société Optrolas.
Laboratoire de spectroscopie hertzienne de Lille, université de Lille/ASAP Jean Lemaire
1980-1985
Plastiques, électronique, laser
Inv. UDL1.Phy.2002.08 
Prototype d’un laser guide d’ondes à CO2 sans système de focalisation développé par le Laboratoire de spectroscopie hertzienne de Lille
©DR
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Analyseur portable LIBS

La technique de la spectroscopie de plasma induit par laser (LIBS) permet l’analyse de la composition atomique de matériaux de manière quasi non destructive et en temps réel grâce à l’émission d’un faisceau laser impulsionnel sur l’échantillon. Le laboratoire interdisciplinaire Carnot de Bourgogne (ICB) cherche à rendre cette technologie compacte, autonome et résistante. 

Deux prototypes lasers sont conçus dès 2006 puis une licence est passée entre l’université, le CNRS et la société IVEA pour intégrer le laser dans un analyseur portable commercialisé sous le nom d’EasyLIBS en 2008. Le prototype de 2010 intègre le laser, un spectromètre et un ordinateur portable dans une coque externe imprimée en 3D. L’analyseur est essentiellement dédié à la géologie, pour identifier et trier des matériaux et comprendre leur formation.
Université de Bourgogne, département photonique, laboratoire interdisciplinaire Carnot de Bourgogne
2010 
Laser : cristaux, verre, alliage aluminium, acier inox, polymères, céramiques 
Inv. UB.ST.PHY.158 
© Mission Culture scientifique/Vincent Arbelet
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Fleuret

La collaboration entre l’IUT de Nantes et la Fédération française d’escrime débute en 2002 avec un premier prototype de fleuret développé dans le cadre d’un projet d’étudiant passionné d’escrime. La FFE apporte son soutien financier, notamment à la création de moules spécifiques.

À base de polyamide et de fibres de verre en granulés, la matière des lames est injectée dans des moules conçus par des étudiants et réalisés à l’IUT par un usineur au savoir-faire très spécialisé. Les étudiants participent à l’ensemble des étapes de la conception des produits répondant aux exigences d’un client, c’est-à-dire viables techniquement et économiquement, validés par un organisme certificateur.

Aujourd’hui, l’IUT produit plus de deux mille pièces par an qui sont utilisées dans les clubs d’escrime de la FFE.
Département Sciences et génie des matériaux, Institut universitaire de technologie de Nantes
2002 
Lames en polyamide renforcé, coquilles en SEBS 
Inv. Univ-Nantes.IUT.Fleuriaye.051 
© Olivier Rétif/Université de Nantes 
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Prototype de pyromètre optique à disparition de filament dit « Ribaud »

Un pyromètre, du grec pyro, « feu », mesure de très hautes températures. Celui-ci est un pyromètre à disparition de filament qui compare le rayonnement émis par une source chaude et celui d’un filament d’ampoule. Il permet de réaliser, sans contact, des mesures de très hautes températures jusqu’à 2  500  °C, à 1 °C près. Il sert notamment à mesurer la température des fours industriels à fusion. 

Gustave Ribaud crée le laboratoire de pyrométrie à l’Institut de physique de Strasbourg dans les années 1920 avec le soutien de l’industriel Edmond de Rothschild. Les recherches qu’il y mène aboutissent à son Traité de pyrométrie optique (1931) dont les principes se retrouvent dans le pyromètre. Précis et facile à utiliser, cet appareil est rapidement commercialisé, notamment par le fabricant Jobin-Yvon. 
Laboratoire complexe de recherche interdisciplinaire en aérothermochimie (CORIA) 
Vers 1930 
Laiton, pied en fonte 
Inv. CORIA-004 
© Service Patrimoine Normandie/Collection J.- M. Sarrau/Archives RéSITech 
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Anémomètre statique à dépression

Cet anémomètre, qui mesure la vitesse du vent, est constitué de deux cônes renversés en laiton massif chromé. Deux prises d’air de part et d’autre du cône supérieur sont reliées à des tubes dont la pression diffère en fonction de la vitesse du vent. Un enregistreur à flotteur mesure cette différence et donne ainsi la vitesse du vent. 

L’ingénieur de l’Office national météorologique Jacques Papillon adapte l’anémomètre à pression inventé en 1891 pour suppléer des instruments incapables de fonctionner dans des conditions de grand froid. Il en garde le principe mais en modifie la forme, supprimant les parties mécaniques, cause des avaries en cas de gel. La société Jules Richard fabrique ce nouvel instrument mais son installation difficile en limite la diffusion à quelques exemplaires. 
Météo-France. Jacques Papillon, Jules Richard 
1955 
Laiton, cuivre 
Inv. METEO-France.001130 
Schéma de fonctionnement de l’anémomètre statique à dépression, Frédéric Perin, Météo-France
© Frédéric Périn/Météo-France – Christophe Taillandier/Météo-France
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Prototype de la première carte routière Michelin au 1/200 000

Ce prototype de carte routière est la réponse de Michelin au besoin exprimé par les premiers automobilistes. Après le Guide Michelin en 1900, le manufacturier auvergnat réalise en 1908 une carte des environs de Clermont-Ferrand et la fait tester par ses clients. Ce prototype est à l’origine de la collection des cartes Michelin au 1/200 000, commercialisées à partir de 1910 et qui sont encore aujourd’hui la référence dans leur domaine. 

La carte ouverte sur deux plis permet de consulter une zone de 44 km sur 47 km. Le pliage en accordéon permet de consulter la carte en voyage sans avoir besoin de la déplier complètement. 
Collection de l’Aventure Michelin 
1908 
Papier 
OBJ54.00062
© L’Aventure Michelin Visuel
Carte prototype des environs de Clermont-Ferrand datant de 1908 
© 2020-Michelin-Tous droits réservés 
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Fax interactif Omnishare

L’Omnishare est un fax interactif, entre PC et téléphone, conçu pour que l’utilisateur puisse envoyer des documents tout en communiquant, comme devant un tableau blanc durant une conversation. Il est muni d’un écran LED, d’un crayon électronique et d’un boîtier contenant un processeur, un disque dur et un modem. Connecté à une ligne téléphonique classique, l’utilisateur envoie les informations figurant sur son écran à un PC, un autre Omnishare ou un fax, grâce à des logiciels de communication. Ces logiciels sont développés à Bristol avec le concours du fournisseur de téléphonie ATT et de Microsoft tandis que les outils et procédures de tests sont définis par HP Grenoble. L’Omnishare est produit à Singapour à quelques dizaines d’exemplaires seulement, le concept étant en avance sur le contexte technologique. 
Hewlett-Packard Association pour un conservatoire de l’informatique et de la télématique (ACONIT)
1994 
Métaux, plastiques, composants électroniques 
Inv. ACONIT 986, ACONIT 987 
© ACONIT 
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Four pour diffractométrie X sous atmosphère contrôlée

Conçu en 1963 au sein du Laboratoire de recherche sur la réactivité des solides de l’université de Dijon, ce four permet de caractériser et suivre l’évolution de solides dans une atmosphère contrôlée. Il se compose de deux coques au milieu desquelles l’échantillon en poudre ou en cristaux est placé. Ces coques étanches contiennent un système de régulation thermique pour faire à la fois le vide et disposer de l’atmosphère désirée pour l’expérience. L’échantillon reçoit à travers le four les rayons X puis les diffracte. Ces rayons sont ensuite analysés par un compteur à scintillation. Le four fait l’objet d’un brevet d’invention délivré le 13 janvier 1964 puis est commercialisé par la Compagnie générale de radiologie, partenaire du laboratoire. La version présentée est un exemplaire commercial. 
Université de Bourgogne Pierre Barret, Norbert Gérard, Compagnie générale de radiologie 
1963 
Inox, Mylar, stumatite, platine 
Inv. UB.ST.CHI.002 
© Vincent Arbelet 
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Chambre de diffraction X à haute température

Cette chambre de diffraction X à haute température permet d’analyser in situ les contraintes résiduelles contenues dans les matériaux sous atmosphère contrôlée. Ce procédé permet d’anticiper les comportements et les ruptures éventuelles du matériau avant sa mise en service. 

La partie centrale contient le porte-échantillon. Une fenêtre est percée dans sa partie supérieure afin de laisser passer les rayons X. Comme pour le four pour diffractométrie, le contrôle de l’environnement et l’étanchéité sont garantis et permettent de travailler sous atmosphère contrôlée. 

Cet équipement original, premier à pouvoir analyser in situ, est utilisé pour la caractérisation de solides appliqués à des domaines comme la métallurgie. 
Université de Bourgogne Frédéric Bernard, Norbert Gérard, Élisabeth Sciora et Jean-François Mazue
1990-1995
Acier inoxydable, platine, quartz, alumine, béryllium 
Inv. UB.ST.CHI.369 
Chambre pour diffraction X de première génération accompagnée d’une pompe turbomoléculaire pour obtenir le vide, années 1990 
© Laboratoire interdisciplinaire Carnot de Bourgogne 
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Terminal pour l’expérimentation de l’annuaire électronique

En 1979, la Direction générale des télécommunications lance deux projets visant à accompagner l’informatisation de la société dont celui de l’annuaire électronique en Ille-et-Vilaine. L’idée de connecter des terminaux entre eux germe alors au Centre Commun d’Études de Télévision et Télécommunications (CCETT) à Rennes. Dès 1980, le terminal pour l’expérimentation de l’annuaire électronique est présenté sous la forme d’une maquette « esthétique » Télic (ensemble écran-clavier) et d’un décodeur FIET comprenant un microprocesseur, une unité de mémoire, un modem et un contrôle de l’affichage à l’écran. Placé originellement sous la table, le décodeur est intégré à partir de 1981 à la maquette esthétique, préfigurant ainsi le minitel (Medium Interactif par Numérisation d’Information Téléphonique). 
Association Armorhistel 
1980 
carrosserie tôle 
© ARMORHISTEL – C. Drouynot 
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Cœur artificiel Carpentier

Des projets de cœur artificiel apparaissent dès les années 1960 afin de pallier les besoins en greffe. Mais les appareils restent encombrants et le patient n’est pas autonome. 

Vers 1980, le professeur Alain Carpentier imagine une prothèse contenue tout entière dans la cage thoracique. Avec l’aide du Centre technique des industries mécaniques, une maquette est conçue en 1985 pour valider les principes du prototype : un système à membranes dans une coque en titane, actionné par des pompes mues par des moteurs à inversion de sens de rotation. Des prototypes fonctionnels sont réalisés avant que la prothèse finale ne soit testée sur un banc d’essai spécifique et expérimentée sur l’animal. La première implantation humaine d’un cœur artificiel total a lieu en 2013 et l’essai clinique se poursuit aujourd’hui. 
Centre technique des industries mécaniques (Cetim) Alain Carpentier 
1991 
Muscle péricarde animal, titane, polysulfone 
© Cetim/Studio B. Cohen 


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L'origine du Minitel

par Benjamin Thierry, maître de conférences à Sorbonne Université, vice-président chargé des humanités numériques et des systèmes d’information.


La révolution du Minitel

par Benjamin Thierry, maître de conférences à Sorbonne Université, vice-président chargé des humanités numériques et des systèmes d’information.


L'héritage du Minitel

par Benjamin Thierry, maître de conférences à l’université Paris-Sorbonne, vice-président chargé des humanités numériques et des systèmes d’information.


Le cœur artificiel 

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