Diderot, confronté à la question de la transmission des savoirs et notamment à la « description des arts », a formulé dans l’
Encyclopédie (article ART) les difficultés et les problèmes qui se posaient alors à lui, et qui sont principalement ce qu’il nomme la « disette de mots propres », le besoin de « mesure constante », le défaut de « définitions », la « multitude des mouvements » :
"J'ai trouvé la langue des
Arts très - imparfaite par deux causes; la disette des mots propres, & l'abondance des synonymes. Il y a des outils qui ont plusieurs noms différents; d'autres n'ont au contraire que le nom générique, engin, machine, sans aucune addition qui les spécifie: quelquefois la moindre petite différence suffit aux Artistes pour abandonner le nom générique & inventer des noms particuliers; d'autres fois, un outil singulier par sa forme & son usage, ou n'a point de nom, ou porte le nom d'un autre outil avec lequel il n'a rien de commun. Il serait à souhaiter qu'on eût plus d'égard à l'analogie des formes & des usages. Les Géomètres n'ont pas autant de noms qu'ils ont de figures: mais dans la langue des
Arts, un marteau, une tenaille, une auge, une pelle, &c. ont presque autant de dénominations qu'il y a d'
Arts. La langue change en grande partie d'une manufacture à une autre. Cependant je suis convaincu que les manœuvres les plus singulières, & les machines les plus composées, s'expliqueraient avec un assez petit nombre de termes familiers & connus, si on prenait le parti de n'employer des termes d'Art, que quand ils offriraient des idées particulières. Ne doit - on pas être convaincu de ce que j'avance, quand on considère que les machines composées ne sont que des combinaisons des machines simples; que les machines simples sont en petit nombre; & que dans l'exposition d'une quelconque manœuvre, tous les mouvements sont réductibles, sans aucune erreur considérable, au mouvement rectiligne & au mouvement circulaire? Il serait donc à souhaiter qu'un bon Logicien à qui les
Arts seraient familiers, entreprît des éléments de la grammaire des
Arts. Le premier pas qu'il aurait à faire, ce serait de fixer la valeur des corrélatifs, grand, gros, moyen, mince, épais, faible, petit, léger, pesant, &c. Pour cet effet il faudrait chercher une mesure constante dans la nature, ou évaluer la grandeur, la grosseur & la force moyenne de l'homme, & y rapporter toutes les expressions indéterminées de quantité, ou du moins former des tables auxquelles on inviterait les Artistes à conformer leurs langues. Le second pas, ce serait de déterminer sur la différence & sur la ressemblance des formes & des usages d'un instrument & d'un autre instrument, d'une manœuvre & d'une autre manœuvre, quand il faudrait leur laisser un même nom & leur donner des noms différents. (article ART, 1751)
Au cours de cette rencontre, il s’agira de réfléchir à la manière dont ces questions, posées par la recherche d’une langue adaptée à la transmission technologique, ont pu être abordées et traitées au XVIIIe siècle et au-delà : de la métallurgie à la cuisine, du travail du cuir à celui de la couleur, ou de l’abbé Grégoire à Zola.
Diderot et la langue des arts ou Les mots de la technique (17e-19e siècles) : un colloque organisé par Marie Leca-Tsiomis (CSLF, U. Paris Ouest-Nanterre) et Madeleine Pinault SØrensen (Musée du Louvre).